CONTES DE LA VIE QUOTIDIENNE | FERMER |
Dans Blow-up, Michelangelo Antonioni met en scène un photographe, seul, en quête de vérité. Par agrandissements successifs d’une même photo, il cherche avec acharnement le détail qui doit prouver que crime a été commis. Mais plus il agrandit, plus il rentre dans l’image, plus il approche le détail révélateur et plus celui-ci s’estompe dans le grain du papier et plus la réalité se dissout dans le monde imaginaire du photographe.
Dans ce livre, la démarche de l’agence Interfoto est exactement inverse. Les photos publiées ici sont extraites d’un stock de plusieurs dizaines de milliers de négatifs qu’Interfoto a accumulé tout au long de ses années d’activité : elles existaient avant même que l’idée de ce livre ne naisse. La très grande majorité d’entre elles sont reproduites sans avoir subi de recadrage, conformément à la prise de vue 24/36, comme en témoigne le filet noir qui les entoure, limite de la partie de pellicule exposée à la lumière.
Par un travail de création collectif, chaque image a été mise en relation avec d’autres pour former des séries, des « contes ». Les photos restent anonymes, car leur valeur intrinsèque est dépassée par celle qu’elles acquièrent dans leur relation aux autres. Et c’est précisément à travers ce procédé de narration collectif, sorte de cinéma immobile, que différentes facettes de la réalité apparaissent. Réalité crue de notre monde urbain de tous les jours : monde néfaste à l’homme et à son environnement, mais aussi monde de refus, de lutte et, pourquoi pas, de sourire. L’illusion du bien-être généralisé en Suisse s’effrite sous le regard critique d’Interfoto.
Mais ces « contes » ne sont qu’un des regards possibles sur notre vie quotidienne et chacun d’entre nous, lecteur, peut en construire d’autres en assemblant autrement, dans sa tête, les 80 images de ce livre.
(texte de 1987)