LE GRAND RÉDUIT | FERMER |
Cette année commémorative d’un 700e mythique s’achève. Depuis des mois les célébrations de l’unité et de la solidarité nationale, les appels à la fête, les invitations à l’élaboration d’utopies martèlent le temps qui passe. De nombreux artistes se sont perdus dans l’aventure, en devenant les caisses de résonance du discours officiel. Quelques rares voix se lèvent pour dénoncer l’hypocrisie et montrer d’autres Suisses, moins belles, moins propres, d’un ordre inquiétant.
La Suisse que nous montre Interfoto paraît, au premier abord, difficile à voir, car elle est cachée, dans l’ombre : elle est derrière les murs, derrière les grilles, derrière les vitre opaques. Mais peut-être que la Suisse n’est pas derrière, peut-être qu’elle est ombre, mur, grille, barrière, exclusion. Union, solidarité, fête … Ici quatre personnes sur un banc ne forment pas un groupe : quatre solitudes juxtaposées, sous une affiche qui appelle pourtant à « être ensemble pour entreprendre ». La fête est triste, en tête à tête avec soi-même, ou organisée, fédérale et de gymnastique. L’utopie … Pourquoi en redemander ? Chimère, elle est présente à chaque instant. Elle s’affiche partout : beauté, virilité, plaisirs, escalade sociale, évasion, liberté … La publicité n’est pas qu’un moyen de promotion des marchandises, elle participe à la diffusion de l’idéologie ambiante : chacun pour soi.
Un chemin rectiligne disparaît derrière les collines, une horloge a perdu ses aiguilles. Dans cet espace-temps presque irréel qui est le nôtre, peut-on encore réagir avant que la porte blindée du grand réduit se referme sur nos consciences, bloque nos comportements ? La luminosité et le recul de l’objectif d’Interfoto, l’humour perfide et l’ironie qui se répandent à travers ce livre nous font penser que oui.
(texte de 1991)